Par Didier SAMSON
Le balafon est un instrument de musique traditionnel africain élevé au rang des grandes inventions qui ont marqué l’histoire des arts et des sonorités musicales dans le monde. Cet instrument à percussion, ancêtre du xylophone existe en Afrique de l’ouest depuis le moyen-âge. Soumahoro Kanté, roi du Sosso, est considéré comme l’inventeur ou, tout au moins, le détenteur de l’instrument, premier du genre, à la structure originale et aux sonorités percutantes. Sossobala. Instrument mythique il est indissociable de l’art des griots.
Le Balafon, mythique instrument du Mandé
Des lattes de bois sec, de tailles décroissantes de la droite vers la gauche, liées entre elles par un cordage en peau de chèvre, reposant sur des calebasses ouvertes à leur sommet également de tailles différentes, le tout monté sur un châssis en bois, constituent un instrument précieux détenu dès l’an 1205 par Soumaoro Kanté, Roi su Sosso. Cette structure montée, de plus d’un mètre de long et de quelque 40 centimètres de hauteur à sa partie la plus élevée, produit des sons lorsque le joueur à l’aide de deux baguettes aux terminaisons en boule de cuir (comme un maillet) frappent sur les lamelles. Une vingtaine de sons différents, des graves aux aigus, sont émis et amplifiés par les calebasses, servant de caisses de résonance. Les toiles d’araignée, recouvrent les orifices des gourdes et en rajoutent à la singularité du son. Cet instrument a tout pour devenir mythique. Il colle parfaitement à la personnalité du sulfureux Roi du Sosso, Soumaoro Kanté. Il en a fait sa chose.
Soumaoro Kanté guerroie. Il se voit à la tête d’un empire puissant et craint. Il veut agrandir le Sosso, royaume au sud-est de Bamako au Mali. Il fait de son instrument un oracle. Le roi ne se sépare de son bijou précieux et vénéré que pour aller en campagne. Personne, à part le roi lui-même, n’y touche. Et pourtant on l’entend à chaque fois qu’il s’absente. Cela suffit à créer une légende. « L’instrument se joue tout seul ; il a des pouvoirs mystiques ». Tout le monde en parle. Evidemment la rumeur remonte aux royales oreilles de Soumaoro Kanté. « Sa puissance viendrait de là ». Personne n’est étonné. Sauf le roi lui-même qui feint, un jour, d’aller en campagne et revient sur ses pas.
Fasséké Kouyaté, griot malgré lui
Discrètement il pénètre dans son palais. En effet, il entend. Et, de la chambre royale sort un son de musique. Il n’y donc pas de doute. L’instrument joue ou se joue ! Tout aussi discrètement sa Majesté Soumaoro Kanté se tient à sa porte et écoute un jeune homme, d’une dextérité inouïe jouant des baguettes sur son instrument. Le roi apprécie la mélodie. Le jeune surpris, feint lui aussi de ne pas se rendre compte de la présence du très furieux et sanguinaire roi. Pour sauver sa tête, inéluctablement destinée à l’échafaud, le jeune homme, Fasséké, se lance dans une improvisation de louanges et des paroles dithyrambiques à l’endroit du Roi. « Sans toi, Ô Roi, la nuit serait éternelle. Tu es le soleil… ». Puis de manière tout aussi théâtrale, Fasséké sursaute, se roule parterre et implore la très grande indulgence du roi. « Ô Seigneur, Roi de la terre et du ciel, mon offense est impardonnable… ». Soumaoro Kanté l’interrompt. « Jeune homme ! continue de jouer et de chanter, personne n’a jamais aussi bien parlé de moi », lance le roi narcissique.
Dès lors le roi musicien s’est mué en mélomane, inconditionnel de Fasséké de la famille Kouyaté. Le seul désormais habileté à jouer de cet instrument. Il doit ce privilège aux louanges du roi, aux faits de guerre sublimés et magnifiés. Elever, lustrer et renforcer la personnalité sont la recette à laquelle il doit la vie. Pour le plaisir du Roi aucune chanson à sa gloire n’est trop belle. Il cherche, il fouille, il trouve et chante. Le Roi est flatté. Tout va bien. Fasséké Kouyaté est devenu le bon historien du roi. Et l’instrument a trouvé un nom : Sossobala. Bala en langue Malinké veut dire « instrument ». Sossobala, l’instrument du Sosso.
Soudianta Kéita gagne la guerre et confisque l’instrument fétiche
Soumaoro Kanté, malgré ses guerres incessantes, n’a pas pu réaliser son grand rêve : créer un grand royaume. Il s’est heurté en 1235 à Soundiata Kéita qui le vainc et bâtit progressivement un puissant empire. Il confisque au passage le Sossobala. Souverain éclairé, Soundiata Kéita ne bouleverse pas les fondamentaux. Il croit en la force du Sossobala. Il en confie le gardiennage exclusif et éternel Fasséké Kouyaté. Empereur visionnaire, il a senti qu’avec le Sossobala, il avait l’instrument fédérateur d’une nation aux nombreuses ramifications ethniques. Le Sossobala est l’âme de la culture du Manden, que les historiens européens ont appelé « Mandingue ». Manden : terminaison nasillarde ; la prononciation la plus approchante est : Mandé. Nous dirons donc Mandé.
Le Sossobala est le fédérateur des peuples du Mandé. Il a influencé toute la culture régionale de la Guinée en passant par le Sénégal, la Guinée-Bissau, le Liberia, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, le Ghana, le Niger. A travers les âges, ses enseignements ont été préservés selon des us et coutumes parfaitement réglés, entretenus et transmis. Socle de la cohésion sociale, il est un bien vénéré et respecté de tout le monde. Vecteur de transmission des savoirs, le Sossobala a aussi engendré un art, celui du « Griot ».
La nouvelle vie du Sossobala dans un nouvel espace culturel
Depuis le moyen-âge la charge du Sossobala a impliqué pour les Kouyaté des obligations sociales, rituelles et coutumières. Détenteurs d’un art fondé sur le Sossobala, dans un espace entre le Sénégal et le Niger, les Kouyaté, sous l’autorité des Kéita, ont dû initier et transmettre leurs savoirs à d’autres familles pour pérenniser une identité culturelle. Aussi, ces familles ont-elles reçu la charge d’être également des griots. Diabaté, Dioubaté, Diawara, Kamissoko et autres Condé ont élargi le cercle des griots mais ne peuvent jouer du Sossobala. Le seul et sacré. L’originel. C’est ainsi que des instruments, dans l’esprit du Sossobala, sont fabriqués. Ils sont bâtis sur les mêmes principes, mais ne compteront jamais 20 lamelles comme le Sossobala. Unique. Ils ont selon les régions plus ou moins de 20 lamelles et prennent un nom, Balafon. Bala (toujours) instrument en Malinké et Fo, prononciation nasillarde en Bambara qu’il faut traduire par « Jouer, parler, dire… ». Bala-fon. L’instrument qui parle ! Balafon.
« Griot, joueur de Balafon où que tu sois, tu dois prendre le LA auprès du Sossobala et de ses maîtres ». Règle non écrite dans le Mandé mais que personne ne songe à transgresser. Cela a toujours été ainsi depuis plusieurs siècles. Mais l’invasion et la colonisation européennes sont passées par là. Désormais, il y a la Gambie, le Sénégal, la Guinée, le Mali… Des Etats souverains, bien constitués avec des frontières. Et les pratiques ont évolué.
Sékou Touré garde le Sossobala
Les Kouyaté, gardiens éternels du Sossobala sont répartis dans trois villages. Niagassola en Guinée, Koumakara et Balankoumana au Mali. A tour de rôle et par génération les descendants de Fasséké Kouyaté, aujourd’hui des cousins, assurent le gardiennage avec les charges cultuelles et culturelles que cela implique depuis des siècles. En 1966, le tour des Kouyaté de Niagassola en Haute-Guinée est arrivé. Sékou Touré, alors président la République de Guinée, décide que le Sossobala venait d’effectuer son dernier voyage en terre de Guinée. Il n’en repartira plus. Grosse brouille diplomatico-culturelle entre les deux pays. Intellectuels et historiens maliens se fâchent. Modibo Kéita, président du Mali calme les ardeurs. La raison des révolutionnaires progressistes l’emporte. Et, le Sossobala l’ancêtre des balafons est définitivement resté à Niagassola en Haute-Guinée sous l’autorité du Maître du Sossobala, le Balatigui. Kouyaté. L’Unesco protège depuis 2001 l’espace culturel du Sossobala à Niagassola en tant que « chef d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité ».
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