Par Didier Samson
Au lendemain des indépendances des colonies françaises d’Afrique, le besoin de francité pour se sentir davantage proches dans une même communauté avait assurément germé dans certaines têtes ! Mais une initiative venue de la France, pour un tel regroupement, n’aurait-elle pas été ressentie comme une forme de prolongement de la dépendance ? Et pourtant ce groupement a été fondé. Mais dans quelle mesure n’a-t-elle pas été suggérée à la perspicacité d’Hamani Diori, président du Niger considéré comme l’un des pères fondateurs du rassemblement des francophones. Il fallait faire face aux Anglais qui, depuis fort longtemps, avaient mis tout le monde sous la même couronne. Le Commonwealth. Les Français en étaient jaloux, rongés par leur séculaire rivalité avec les Britanniques. Comment faire comme eux tout en ne leur ressemblant pas.
La francophonie pour une nouvelle alliance
Regrouper tous ceux qui ont été sous la chape de la France dans une communauté de destin. Quelle terrible idée ? Comment faire ? Il n’y avait rien de commun entre un Indochinois, un Africain, un Océanien et un Français si ce n’est de se comprendre par la langue. D’où la fine idée de : « la langue française en partage ». C’est un slogan rassembleur. Une profession de foi. Avoir la langue en partage. Ce prisme du partage avait réellement créé l’illusion de la grande famille. Il fallait bien cela pour dissiper cette fâcheuse et insultante expression des explorateurs-administrateurs-colons « du parler petit nègre ». Et cela a bien fonctionné. La langue en partage c’est bien la parler pour rivaliser de truculence avec le Blanc. La langue en partage s’est aussi s’élever au niveau des « propriétaires ». La langue en partage c’est encore la châtier dans ses nuances. La langue en partage c’est indifféremment trouver ses références dans l’histoire du professant. La langue en partage, c’est également s’approprier la littérature de l’instructeur pour un intellect vif. Avoir la langue en partage pour chaque locuteur non Français hexagonal, c’est assumer son statut d’hermaphrodite. Avoir la langue en partage c’est procréer : engendrer et donner naissance. Avoir la langue en partage c’est concevoir dans sa langue et accoucher en français. Léopold Sédar Senghor, le plus Français des Sénégalais, le sait si bien qu’il met en français et dans sa poésie les rythmiques du récit oral des Sérères.
Quand on parle France, les français ne sont jamais très loin. Normal. Mais d’où sort cette fausse élégance de faire croire que « les autres ont décidé à mon insu de dire du bien de moi ». Et de fait on parle de transparence alors que c’est d’opacité dont il s’agit. Du coup, comme dans une logique mathématique, la démarche est bonne mais les opérations ne sont pas très exactes.
Dans les documents fondateurs de la francophonie on lit clairement que trois chefs d’Etat sont à l’origine du concept. Mais ce sont 4 visages qui apparaissent dans les papiers les plus officiels. Hamani Diori, président du Niger, Habib Bourguiba, président de la Tunisie et le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge. Puis juste à côté on voit Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal, comme si le trio n’avait pas de valeur sans lui. Premier couac. Puis dans l’histoire on oublie le ministre français de la Culture. André Malraux. Et pourtant c’est lui le principal instigateur de la chose sous ordre du Général de Gaulle, aménagée par la suite par le Président Georges Pompidou. Toujours est-il que, et, tout compte bien fait les choses sont mal parties. On ménageait trop de susceptibilités.
La francophonie au rythme des institutions
Au sortir de la Première Guerre mondiale en 1926 les écrivains de langue française s’étaient regroupés au sein d’une association, Adelf. L’Association des écrivains de langue française. Les journalistes ont suivi le mouvement après une autre guerre mondiale, en 1950. C’est à croire que les intellectuels, après des chocs énormes, accusent le coup et tentent une parade par la réflexion profonde. Resserrer les rangs à travers la communication a constitué les prémices de la complicité des locuteurs de la même langue. Par ailleurs, au moment des indépendances s’est posée la question de la continuité de l’instruction en français. Or, et tout le monde le sait et cela se vérifie de génération en génération, « confiez une idée noble aux politiques et ils vous réussiront une embrouille sans nom ! » En 1960 il est instauré la Conférence des Ministres de l’Education nationale, Confemen. Les intentions sont claires. Les politiques prennent les rênes mais vont garder l’idée du rassemblement par la culture. Cela fait moins néo-colonisation. Et le mot de la France pour mettre un voile pudique est « coopération ».
En effet, le ministère des anciennes colonies à Paris, Rue Monsieur, était pompeusement baptisé « Ministère de la coopération ». Pour une institution qui regroupe colonisés et colonisateur il fallait bien mettre l’accent sur la Coopération. C’est l’idée des pères fondateurs qui ont sagement pensé à l’Agence de coopération culturelle et technique. ACCT. Une institution intergouvernementale. Mais dès sa naissance en 1970 à Niamey, on lui a mis plein d’interdits. Enseignement supérieur, recherche, télévision, démocratie locale, etc. Cette grosse machine aux compétences surveillées avait tout de même bien fonctionné jusqu’en 1996 où elle s’est muée en Agence de la francophonie. Le concept a été osé. Mais en 2006 elle se saborde au profit de l’Organisation internationale de la francophonie.
Pour pallier les compétences réduites de la grande ACCT, une pelletée d’associations ont vu le jour dans des domaines divers et variés. Mais c’est surtout dans la « défense de la langue française », le français attaqué par l’anglais, cela n’a échappé à personne, que l’esprit français s’est exprimé dans toute son originalité. En 1984, sous la présidence de François Mitterrand, le Haut comité de la lague française était devenu le Commissariat général de la langue française. Il y a eu le Comité consultatif de la langue française, le Haut conseil de la francophonie, puis la Délégation générale à la langue française. Toutes ces structures pour la même idée ressemblaient à des centres recyclage de fonctionnaires ou pour occuper des enseignants contrariés, des écrivains au succès relatif…
A côté de cette pléthore de structures il y a l’éternelle Académie française créée 1635. Pour ses détracteurs c’est une maison de retraite dans laquelle nos brillants anciens s’amusent à parler le français juste. Mais plus sérieusement ses élus à vie travaillent à la définition de la langue par l’élaboration du dictionnaire de l’Académie française. La référence absolue. On reste parfois plusieurs années sur une même lettre de l’alphabet à la définir, la comprendre davantage pour une éventuelle évolution. Les mots ont une vie.
La francophonie veut coller à son époque et se politise
Elle devient un haut lieu des intrigues en relations internationales. Droit de l’homme, démocratie, supervision d’élections, écologie et même l’économie s’invitent au forum. Elle a de plus en plus un avis sur tout. Le siège de secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie est devenu un poste stratégique presque monnayé. Les grands électeurs francophones concèdent à donner leurs voies en contrepartie de choses…inavouables. Abdou Diouf, ancien président du Sénégal trouve en francophonie une reconversion honorable. Avant lui Boutros Ghali, ancien secrétaire général de l’ONU y trouve aussi un point de chute. Un gros clin d’œil au Proche et Moyen-Orient. La Canadienne Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada, s’est vue refuser une reconduction dont elle rêvait en 2019. La France a pesé de tout son poids, pour que la balance penche en faveur de la Rwandaise Louise Mushikiwabo. La France exprime ainsi ses bonnes intentions à l’égard du Rwanda après son très fâcheux rôle dans le génocide des Tutsis et après que le Rwanda a menacé de quitter la francophonie. Il a même adhéré au Commonwealth. La France a mobilisé ses inconditionnels africains … et, affaire conclue ! La francophonie a mille histoires. Regardons-là plutôt de très haut. De son histoire tumultueuse, elle est tout de même structurée aujourd’hui, au sein de l’OIF en de multiples commissions très fonctionnelles. Rapport de la langue française dans le monde *. (Voir lien)
L’histoire du français se raconte aujourd’hui dans un château
La Cité Internationale de la langue française
Et comme un éternel recommencement, chaque mandat présidentiel en France se pare d’une nouvelle institution en faveur de la francophonie. Le nouveau-né s’appelle, Cité internationale de la langue française. Le bébé Macron. L’Etat français a acquis un château du XVIe siècle à quelque 100km au nord de Paris. A Villers-Cotterêts. Et, ce choix ne doit rien au hasard. C’est là qu’en 1539, François 1er signe une ordonnance imposant le français dans les actes administratifs et juridiques du royaume. Haut lieu de culture, Molière et sa troupe y ont interprété, pour la première fois et devant le roi, Tartuffe. Le château de Villers-Cotterêts était aussi un haut lieu de ripaille. « Mon Plaisir », l’avait joyeusement baptisé le roi François 1er.
Mais 1789, les Révolutionnaires ont placé le château de Villers-Cotterêts sous contrôle et en ont fait un bien de la nation. Reversé dans l’escarcelle du patrimoine national, le président Emmanuel Macron lui donne aujourd’hui un destin international. Expositions, événements culturels, documentations sur l’évolution de la langue française etc. ont désormais un lieu dédié. Le château de Villers-Cotterêts.
DS
https://www.francophonie.org/
- https://www.francophonie.org/sites/default/files/2023-03/Rapport-La-langue-francaise-dans-le-monde_VF-2022.pdf
https://www.cite-langue-francaise.fr/